Ogni riferimento all’attuale Tav non è puramente casuale
Ho scovato questo testo redatto da un certo Louis Simonin, francese, e pubblicato nel 1884, prima del traforo ferroviario del Sempione.
Tale traforo, in progetto teorico da tanti anni, sarebbe andato ad inserirsi e aggiungersi fra i trafori già eseguiti nelle Alpi dell’est (a vantaggio di Austria e Germania, dal nord al sud, e dell’Italia, dal sud al nord). Nelle Alpi occidentali, il traforo pionieristico del Fréjus (Moncenisio) collegava per ferrovia la Francia e il Piemonte.
La realizzazione di quest’opera scatenò forti reazioni e polemiche, poiché sarebbe andata in competizione commerciale con i passaggi già realizzati ad est e ad ovest. Ogni riferimento all’attuale e travagliatissimo TAV Torino-Lione, non è puramente casuale…
C’era, poi, da considerare la questione tecnica: il Sempione avrebbe beneficiato di tutte le esperienze precedenti e dei nuovi macchinari messi a punto per lo scavo. Tuttavia, si sarebbe trattato della galleria più lunga del mondo (rimasta tale fino a pochi decenni addietro) e la cosa non tranquillizzava affatto, sia sul piano tecnico che su quello finanziario. Tutte queste ambasce sono meticolosamente esposte dall’autore, in ordine cronologico.
Un’altra informazione che mi ha particolarmente interessato (in apertura), è lo stato dei passaggi “stradali” transalpini (diventati carrozzabili solo dopo aver trasformato i sentieri mulattieri in carreggiate stradali finalmente realizzate a suon di milioni, specialmente all’inizio dell’Ottocento, ma anche prima…). Sono menzionati tutti i passi alpini e i tempi di percorrenza su ruote, fra località a nord e a sud delle montagne. Sono notizie difficili da trovare, riunite assieme. Ci rende l’idea, oggi, di quanto fosse faticoso viaggiare in quelle epoche, in vettura ippotrainata per chi poteva permetterselo, o semplicemente pedibus calcantibus. Tutto ciò viene descritto all’inizio di questa specie di rapporto, prima di passare allo storico dei trafori precedenti quello del Sempione.
Se ne avete voglia, buona lettura.
Cesare Spoletini
Revue des Deux Mondes tome 64, 1884
Louis Simonin
Les Grandes PercÉes des Alpes.
Le Mont-Cenis, Le Saint-Gothard, L’Arlberg
Les Alpes forment une vaste ceinture au nord de l’Italie et y décrivent un grand arc de cercle. Elles se dressent comme une muraille gigantesque et infranchissable sur les magnifiques et verdoyantes plaines du Piémont et de la Lombardie, isolant l’Italie de la France, de la Suisse, de l’Autriche. Les Alpes principales sont divisées en Alpes occidentales, qui servent de limite entre l’Italie et la France ; en Alpes centrales ou du nord, qui séparent l’Italie de la Suisse ; et en Alpes orientales, qui séparent l’Italie, ainsi que la Suisse, de l’Autriche-Hongrie. Les points culminants des Alpes, les pics, sont séparés entre eux par des vallées montantes, souvent très étroites, qu’on appelle, à leur point le plus élevé, des cols ; mais la hauteur de ceux-ci est toujours inférieure à celle des pics. Ces cols sont plus ou moins accessibles et offrent plus d’un danger ; toutefois, ils n’ont jamais arrêté, ni dans les Alpes, ni dans d’autres chaînes de montagnes, la marche des races émigrantes, des armées, du commerce, des voyageurs, et ils ont servi, de tout temps et en tout pays, de lieu de passage aux hommes et aux marchandises.
I. — LES PASSAGES DES ALPES.
La plupart des cols des Alpes sont célèbres. Ils ont ouvert les communications de peuple à peuple dès les premiers âges de l’histoire. Le col de Tende, qui est comme le nœud qui soude les Alpes aux Apennins, trace encore aujourd’hui, en attendant la construction d’un tunnel et d’un chemin de fer, la route de terre en lacets qui va de Vintimille à Cuneo. En hiver, c’est en traîneau que l’on passe, au milieu des précipices, en dépit des avalanches qui pourraient survenir et au grand effroi de quelques voyageurs novices et timorés. Le passage du Mont-Viso conduit de Briançon à Saluces, le Saluzzo des Piémontais, et, par le pas du Mont-Genèvre, on va à Pignerol, dans les vallées vaudoises. Le col du Mont-Cenis, haut de 1.906 mètres, menait de Modane à Suse, en diligence, avant l’établissement du chemin de fer. La route a été ouverte, de 1803 à 1810, par Napoléon. C’est une des plus sûres parmi les routes alpestres ; elle est praticable même en hiver, mais alors en traîneau. Il y avait, quand la route était en plein exercice, vingt-trois maisons de refuge, et le chemin a coûté 7.500.000 francs.
Le col du Petit-Saint-Bernard va de Chambéry à Aoste, et celui du Grand-Saint-Bernard, fameux par le passage de Bonaparte et de son armée, en 1800, du 15 au 21 mai, un mois avant la bataille de Marengo, conduit aussi en Piémont, en partant de Martigny, en Suisse. L’un et l’autre de ces pics flanquent le Mont-Blanc à droite et à gauche. Charlemagne a franchi le Grand-Saint-Bernard en 773, et Frédéric Barberousse en 1106. L’hospice est au col, à 2.472 mètres, et contient deux cents lits. Les dépenses sont de 50.000 francs par an, et sont couvertes par des dons. Au Grand-Saint-Bernard, il gèle même en été. En hiver, il tombe dix mètres de neige. Les chiens de l’hospice, qui aident au sauvetage des voyageurs enfouis sous la neige, sont connus. Il passe chaque année 20.000 personnes par le Grand-Saint-Bernard.
La route carrossable du Simplon, qui vient ensuite, a été construite, ou plutôt considérablement améliorée, par le premier consul, qui la fit commencer en 1800, du côté de la Lombardie, et, en 1801, du côté de la Suisse. C’est une route très pittoresque, et l’on ne met que huit heures pour aller de Brigue, dans le Valais (dernière station du chemin de fer de la Suisse occidentale et Simplon) à Iselle, dans le Milanais. On peut continuer de là en voiture, par une très belle route, sur Domo d’Ossola et sur Pallanza ou Arona, au lac Majeur, où l’on retrouve le chemin de fer. Cinq mille ouvriers ont travaillé, à partir de 1800, pendant cinq étés consécutifs, à la route du Simplon. On y a dépensé 18 millions, supportés en petite partie par la France, et en majeure partie par la République cisalpine, œre italo, comme le dit l’inscription gravée sur la paroi rocheuse d’une galerie au sommet du col, et portant la date de 1805, qui est celle de l’achèvement de la route.
Le chemin du Saint-Gothard, qui va de Altdorf à Bellinzona, a été, jusqu’à ces derniers temps, le plus fréquenté de tous. En 1800, on recensait déjà, sur un chemin qui n’était qu’un sentier assez dangereux, 16.000 voyageurs et 9.000 chevaux ou mulets. Avant d’arriver au col même, on passe sur le fameux pont du Diable, jeté sur un torrent par un moine, au XIIe siècle ; près de là est le défilé du Stalvedro, où, en 1799, 600 Français se défendirent contre 3.000 Russes. Les diligences mettaient douze heures pour franchir le col, qui est à l’altitude de 2.114 mètres. Il y a là un hôtel et un hospice. On y comptait, en 1881, avant l’ouverture du tunnel, 70.000 voyageurs. La route a été construite, de 1820 à 1832, par les cantons d’Uri et du Tessin.
Le chemin du Splügen a été ouvert, de 1818 à 1823, par l’Autriche et les Grisons, et celui du Bernardino, de 1819 à 1823 ; mais le passage du Splügen existait de temps immémorial. Les empereurs d’Allemagne ont choisi naturellement ce passage et celui du Saint-Gothard pour aller en Italie, tandis que les empereurs romains y compris Constantin, et Pépin, et Charles VIII, et d’autres, passaient par d’autres cols, le Grand-Saint-Bernard, le Splügen ou le Mont-Cenis. On dit que Scipion a traversé le Simplon, auquel il aurait donné son nom, et que Marius et Pompée ont fait la même route. Quant à Annibal, on ne connaît pas encore exactement le col qu’il a suivi ; d’aucuns opinent pour le Mont-Genèvre ou le Petit-Saint-Bernard, qui est dans les Alpes Pennines. L’empereur d’Allemagne Henri IV, allant faire sa soumission à Canossa devant Grégoire VIl, prit par le Splügen. C’est là aussi que passa le général Macdonald, du 27 novembre au 4 décembre 1800, en plein hiver, où les avalanches enlevèrent des colonnes entières de nos soldats. La route du Splügen unit Coire à Chiavenna ; on met douze heures pour franchir le col. Le Bernardino, qui conduit de Coire à Bellinzona, et le Stelvio, sont voisins du Splügen. Le Stelvio, qui mène du Tyrol en Lombardie, forme la route de voiture la plus élevée de l’Europe. Elle est à 2.814 mètres. C’est une magnifique voie, à la fois stratégique et commerciale, et qui a été construite de 1820 à 1824. Deux mille ouvriers y ont travaillé pendant quatre étés. La route est difficile, et elle est très dangereuse en hiver, malgré tous les travaux d’art qu’on y a exécutés : ponts, viaducs, tunnels, galeries, abris contre les avalanches. Tous ces travaux ont coûté 7 millions et demi de francs.
Dans les montagnes du Tyrol, le col du Brenner est l’une des routes les plus anciennes des Alpes. Elle était déjà connue du temps des Romains et mène d’Innsbruck à Vérone. Une véritable route a été établie en 1772 par le gouvernement autrichien. Auparavant, il n’y passait que des mulets et des piétons. C’est la moins élevée des routes des Alpes ; elle n’est qu’à 1.362 mètres. Le chemin de fer du Brenner a été ouvert un siècle plus tard sur cette route par l’Autriche, en 1867, unissant l’Italie à l’Autriche-Hongrie et à l’Allemagne du Sud. C’est une des œuvres ferroviaires les plus hardies de notre temps. On y a travaillé quatre ans. Les rampes y atteignent les 23 et 25 pour mille, c’est-à-dire 23 et 25 mètres de dénivellée par kilomètre. Il y a vingt-deux tunnels, soixante grands viaducs et ponts. Quelques tunnels sont tournants, tracés en demi-cercle. Les courbes sont très prononcées sur quelques parties de la voie. La longueur du tunnel principal n’est que de 885 mètres, et la longueur totale du chemin de fer, d’Innsbruck à Vérone, de 281 kilomètres. Ce chemin était le plus court pour aller d’Allemagne en Italie avant l’ouverture de la route du Gothard (1832).
En 1854, treize ans avant que celui du Brenner, le chemin de fer dit du Semmering fût ouvert, du nom d’un contrefort des Alpes styriennes, faisant partie de la voie ferrée de Vienne à Trieste et Venise, et fait ainsi communiquer l’Autriche-Hongrie avec l’Italie et l’Adriatique. La partie la plus difficile de la voie est la traversée du Semmering, qui commence à 420 mètres d’altitude, à la station de Gloggnitz, à une distance de 76 kilomètres de Vienne. Les rampes atteignent bien vite les 25 et 30 pour mille, et il faut de très puissantes locomotives, d’une disposition particulière, les locomotives Engerth, pour arriver à remonter ces hauteurs. Le chemin de fer est établi le long de rochers abrupts, de précipices vertigineux, et offre une succession de points de vue aussi variés que grandioses, qui font l’admiration des voyageurs. On traverse successivement quinze tunnels, ayant une longueur totale de 4.469 mètres, et autant de viaducs. Le tunnel principal a 1.384 mètres ; on le parcourt en trois minutes. Les 40 kilomètres du chemin de fer du Semmering équivalent à 100 kilomètres en plaine, par suite des difficultés de traction et de la diminution forcée de vitesse qui en résulte. L’entreprise a coûté 37 millions et demi de francs, soit près d’un million par kilomètre.
Il reste à dire un mot d’une dernière route des Alpes, celle de l’Arlberg, qui franchit le col dans le massif du Vorarlberg, lequel sépare le Tyrol de la province autrichienne de ce nom, limitrophe de la Suisse. La route va de Landeck à Bludenz ; elle a une longueur de 75 kilomètres, et on la parcourt en neuf heures. Aujourd’hui la voie de terre est remplacée par la voie de fer ; car le tunnel de l’Arlberg, dont nous parlerons en son lieu et place, est terminé depuis le mois de novembre dernier (1883), et les abords viennent d’être entièrement achevés.
Tous les cols des Alpes dont il vient d’être fait mention sont toujours fréquentés par les voitures et les piétons, même ceux qui aujourd’hui ont été dotés d’un tunnel et sont sillonnés par la voie ferrée. On compte que, chaque année, 350.000 voyageurs passent encore par toutes les routes alpestres, en diligence ou en voiture ; si l’on y ajoute 150.000 piétons, c’est un total de 500.000 individus ; et cela, malgré l’ouverture des tunnels du Mont-Cenis (Fréjus), du Saint-Gothard et de l’Arlberg, dont nous allons maintenant parler.
II. — LE PERCEMENT DU MONT-CENIS.
Le chemin de fer du Brenner n’était pas même projeté que déjà on avait procédé à l’exécution de celui du Mont-Cenis. L’idée première d’un tunnel à travers cette partie des Alpes remonte à 1841 ; elle appartient à un géomètre savoisien, Médail, qui a le premier indiqué que l’endroit où la plus courte galerie pourrait être creusée à travers le massif alpin était le col des Fourneaux ou celui du Fréjus, où le percement ne dépasserait pas 12 kilomètres, et demanderait trente-six ans. Les procédés merveilleux que la mécanique a mis depuis en usage n’étaient pas encore imaginés. Médail entendait percer sa galerie avec un fleuret à main et l’aérer par des puits inclinés ou obliques. Le roi Charles-Albert, qui voyait là un moyen de faire communiquer rapidement le Piémont avec la Savoie, le glorieux berceau de sa maison, accueillit Médail avec bienveillance et l’écouta avec un vif intérêt ; mais, sur ces entrefaites, la malheureuse guerre de 1848-1849 entre le Piémont et l’Autriche força le roi d’abdiquer, après qu’il eut été défait à Novare, et il alla finir tristement ses jours au Portugal. Son fils, le roi Victor-Emmanuel et son premier ministre Cavour, reprirent le projet de Médail.
Entre temps, le Piémont avait développé ses chemins de fer et construit, avec l’aide d’un ingénieur belge, M. Mans, la voie ferrée de Gênes à Turin, qui est une œuvre remarquable, avec son tunnel du Giovi, coudé, creusé dans les Apennins, et d’une longueur totale de 3.254 mètres. Les rampes y atteignent les 29 et même 35 pour mille, dépassant celles du Semmering. L’inauguration de ce chemin de fer date de 1854. Auparavant, dès 1849, M. Maus avait présenté un projet pour le percement des Alpes au moyen d’une ligne ferrée souterraine ouverte sous le Mont-Cenis. D’autre part, en 1852, un Suisse, M. Colladon, depuis longtemps connu dans le monde savant, avait fait breveter un système de perforation du tunnel par l’air comprimé ; cet air, détendu, devait servir en même temps à l’aération des chantiers. Enfin, en 1854, trois jeunes ingénieurs sardes, dont les noms sont inséparables, sortis tous les trois de l’Université de Turin et attachés tous les trois au chemin de fer de Turin à Gênes, MM. Sommeiller, Grandis et Grattoni, faisaient, de leur côté, breveter leur bélier compresseur. Cette curieuse machine hydraulique rappelait l’ancien bélier des frères Montgolfier ; elle était destinée à utiliser la force des chutes d’eau de l’Apennin pour comprimer l’air et pousser ainsi les convois sur les rampes du Giovi.
II faut ajouter à ces noms celui de l’Anglais Bartlett, inventeur, en 1855, d’un perforateur mécanique à vapeur – que Sommeiller va bientôt perfectionner et rendre pratique – et celui du géologue turinois Sismonda, qui dresse avec le plus grand soin et la plus grande exactitude la carte géodésique et géologique du Mont-Cenis. Ce sont là tous des hommes de talent dont le concours pouvait seul permettre l’exécution de cette œuvre gigantesque. C’est ainsi que les Sommeiller au Mont-Cenis, les Favre au Saint-Gothard, les Lesseps à Suez et à Panama, viennent en quelque sorte à leur heure, au moment voulu, comme des êtres prédestinés, et que sans eux rien ne se serait peut-être fait.
N’oublions pas Cavour, qui allait malheureusement sitôt disparaître (1862), et qui soutint de tous ses efforts, des deniers de l’état et de ses discours persuasifs et patriotiques devant les chambres, le projet du tunnel, et les trois ingénieurs qui en étaient en quelque sorte l’âme.
L’inauguration des travaux eut lieu le 31 août 1857, du côté nord ou de Modane, en présence du roi Victor-Emmanuel et de Cavour. La première mine fut allumée par le roi au moyen d’un fil électrique, et, le 14 novembre suivant, on amorça également la première mine du côté sud ou de Bardonnèche. On commença à travailler péniblement à la main, le forage marchant lentement, pas plus vite que dans une galerie de mine. Les événements de la guerre d’Italie vinrent d’ailleurs quelque temps ralentir les travaux. En janvier 1861, c’est-à-dire après trois ans et quatre mois, le forage du Mont-Cenis n’avait guère avancé que de 725 mètres du côté de Bardonnèche, soit de 0,63 m en moyenne par jour ; il est vrai qu’on ne marchait encore qu’avec des fleurets à main. Mais, à cette date, on installa à Bardonnèche la première machine perforatrice de Sommeiller, son bélier compresseur. Par suite de toutes les difficultés du début, de l’inexpérience des ouvriers, on n’avait fait, avec une série de ces machines, à la fin de l’année 1861, que 170 mètres, ou 0,45 m par jour, un tiers de moins qu’avec le travail à la main ! L’époque des tâtonnements techniques allait toutefois bientôt finir ; tous les perfectionnements étaient enfin trouvés. On put désormais percer, avec les nouvelles machines perforatrices de Sommeiller mues par l’air comprimé, soixante trous à la fois, et chaque foret perçait un trou dix fois plus vite que le fleuret à main du mineur. En 1862, on fit ainsi à Bardonnèche plus de 1 mètre par jour ; en 1863, 1,16 m ; en 1865, 1,70 m ; enfin, en 1870, 2,42 m ; pendant quelques jours, on atteignit même un avancement maximum de 3 mètres.
Du côté de Modane, le travail à la main dura deux ans de plus que du côté de Bardonnèche, avec un avancement moyen de 0,50 mètres seulement par jour. Les machines perforatrices ne furent installées à Modane qu’en 1863, au mois de janvier. Elles eurent à subir moins de péripéties que du côté de Bardonnèche ; on avait plus d’expérience ; mais la roche, beaucoup plus résistante de ce côté, retarda le moment de l’achèvement. Dès le mois de juillet 1863, on se trouva dans l’obligation de percer 381 mètres d’une roche siliceuse très dure, très compacte, une sorte de quartzite. On n’avançait dans cette roche que de 0.50 mètres par jour, et à certains moments, de 0.30 seulement. Le quartzite franchi, on marcha beaucoup plus vite, et, en 1870, on avança même d’un peu plus de 2 mètres par jour au maximum.
En somme, du côté de Bardonnèche, de 1857, ou, si l’on veut, (en prenant l’année de l’installation des machines), de 1861 à 1870, on a creusé 7.080 mètres de tunnel, et du côté de Modane, de la même époque, ou plutôt de 1868 à 1870, 5.153 mètres, soit en tout 12.233 mètres, qui représentent la longueur totale du tunnel du Mont-Cenis. Ce n’est pas au milieu du tunnel, mais à 1.000 mètres plus près de l’entrée nord ou de Modane, qu’on s’est rencontré. On a mis treize ans et quatre mois pour cet avancement total ; car c’est le 25 décembre 1870 que la sonde a traversé la dernière masse rocheuse qui séparait les deux galeries. La rencontre s’est faite presque mathématiquement, avec un écart d’axe insignifiant de 40 centimètres, tant les précautions avaient été minutieusement prises. En tenant compte des dates extrêmes des 31 août 1857 et 25 décembre 1870, écoulées entre le premier et le dernier coup de mine, soit treize ans et quatre mois, cela donne pour l’avancement journalier moyen dans le tunnel du Mont-Cenis 2,60 mètres. Pendant tout ce temps, quinze à dix-huit cents ouvriers ont été occupés dans le tunnel. Le travail y a été très difficile, parfois périlleux, et la température souvent intolérable, 30 degrés et demi, dans un air très humide. L’anémie a fait un assez grand nombre de victimes.
C’est seulement dans le courant de l’année 1871 que tous les travaux du Mont-Cenis et de ses abords ont été entièrement achevés. La première locomotive franchit le tunnel en août, et l’inauguration solennelle eut lieu le 17 septembre 1871. Le 11 juillet, deux mois auparavant, Sommeiller était mort, emporté par une maladie de cœur à la suite des fatigues incessantes qu’il avait endurées pendant tout le temps de l’exécution du tunnel. Il ne put assister à son triomphe. « Je suis perdu, » disait-il à son médecin. « Vous, qui avez percé la grande montagne, vous surmonterez cette épreuve, répondit l’autre. » Mais lui : « No, è finita » et très peu de jours après, il expira.
La loi du 17 août 1857, votée par les chambres piémontaises, avait fixé la dépense du tunnel et des voies accessoires à 41.400.000 francs, dont 16.600.000 francs pour la construction de 36 kilomètres de voie extérieure. La Compagnie du chemin de fer Victor-Emmanuel devait concourir à cette dépense pour 20 millions. Après la cession de Nice et de la Savoie à la France, en 1860, la dépense totale du tunnel et de ses abords fut estimée à 58 millions, dont la France dut prendre pour sa part 29 millions à partir du 1er janvier 1862. Le coût du tunnel proprement dit fut évalué à 3 millions par kilomètre, soit, en nombre rond, 36 millions, pour le tunnel entier. La France accordait 500.000 francs de prime à l’Italie pour chaque année qui serait gagnée sur les vingt-cinq ans qu’on fixait, à dater du 31 août 1857, pour l’entier achèvement du tunnel, et 600.000 francs pour chacune des années gagnées au-dessous de quinze. N’oublions pas qu’on était alors en 1862, époque où le tunnel était à peine commencé, on sait au milieu de quelles incertitudes et de quels déboires ; l’œuvre allait cependant être terminée dans huit ans, une fois toutes les difficultés et tous les tâtonnements du début surmontés.
Par un contrat passé, en 1867, avec MM. Sommeiller et Grattoni, le gouvernement italien leur abandonnait à forfait tous les travaux du tunnel, jusque-là conduits en régie, et leur accordait 4.617 francs par mètre courant qu’ils feraient, en leur imposant la condition de livrer le tunnel avant le 1er janvier 1872. En outre, il leur prêtait gratuitement tout le matériel d’exploitation et de construction : appareils hydrauliques, perforateurs, etc. L’amende pour les entrer preneurs devait être de 1.000 francs par chaque jour de retard dans la livraison du tunnel, et la gratification qu’ils recevraient serait également de 1.000 francs par chaque jour d’avance sur la date extrême fixée pour la livraison. On y ajoutait la moitié de la prime de 600.000 francs, due par la France pour 1871, si l’exécution du tunnel était achevée à cette époque. En réalité, le tunnel du Mont-Cenis avec ses abords a coûté 75 millions de francs, dont la France a payé 38 millions. Le tunnel du Mont-Cenis, qui fait communiquer Paris avec Turin, la France avec l’Italie, a 10 mètres d’ouverture ou de diamètre. Il est à une altitude de 1.335 mètres au point le plus élevé au milieu du tunnel. A Bardonnèche, l’altitude est de 1.251 mètres, à Modane de 1.159. La rampe du tunnel est de 22 pour mille à partir de l’entrée nord en venant de France, sur 6.110 mètres ; sur les autres 6.110 mètres, en allant vers Bardonnèche, la pente est presque insensible : de 0,5 pour mille. Il en résulte que la pente générale du tunnel monte de la France vers l’Italie, elle fonctionne comme une énorme cheminée dont le tirage se fait dans ce sens. L’air y est toujours bon, jamais trop chaud. On met vingt-cinq minutes pour la traversée du tunnel en allant dans le sens de la descente et à peu près le même temps dans l’autre sens. Nous ferons observer que le tunnel du Mont-Cenis ne passe pas sous le Mont-Cenis, mais sous le col du Fréjus, et que c’est en réalité le tunnel du Fréjus qu’il faudrait l’appeler, comme l’appellent, en effet, beaucoup de géographes. Le Mont-Cenis proprement dit est à 27 kilomètres environ au nord-est du tunnel.
Avant l’ouverture du tunnel, en 1868, un ingénieur anglais, M. Fell, et un grand entrepreneur, également anglais, M. Brassey, avaient construit sur le Mont-Cenis un chemin de fer avec un rail central à crémaillère, un peu plus élevé que les rails latéraux ; c’était le système qu’on a depuis imité au Righi, en Suisse, et au Kahlenberg, sur le dernier contrefort des Alpes autrichiennes, près de Vienne. Le chemin de fer de M. Fell fut construit en dix-huit mois. Il côtoyait tout le temps l’ancienne route du Mont-Cenis et offrait, par la disposition particulière des roues de la locomotive et des voitures, des garanties très grandes de solidité et de sécurité. On allait ainsi de Modane à Suse. La perspective dont on jouissait, suspendu au-dessus des abîmes, était des plus saisissantes. Aujourd’hui ce chemin de fer ne fonctionne plus ; quelques ingénieurs ne laissent pas toutefois de penser que, tous les grands tunnels des Alpes étant maintenant percés et ayant tous coûté très cher, on ne fera plus désormais que de ces espèces de tramways alpins pour tous les cols qui restent à franchir par la voie ferrée.
III. — LE CHEMIN DE FER DU SAINT-GOTHARD.
L’idée de percer les Alpes helvétiques par un tunnel de chemin de fer dans la direction de l’Italie a pris naissance dans les cantons un peu avant 1848, au moment où les premières voies ferrées étaient établies en Suisse. Tel penchait pour le Luckmanier, c’est-à-dire pour le Saint-Gothard proprement dit, tel pour le Bernardino, le Splügen ou le Septimer, tous les trois à l’ouest du Saint-Gothard, mais dans le même massif alpin. Les cantons de la langue française, Genève en tête, opinaient pour le Simplon. A vrai dire, la Suisse n’avait ni les fonds ni le pouvoir politique suffisants pour mener à bien toute seule une aussi colossale entreprise, surtout dans l’état où se trouvait alors l’Europe. L’Allemagne, l’Autriche, la France, y avaient chacune des intérêts opposés ; force fut donc d’attendre.
En 1860, un premier pas fut fait par la fondation de l’unité italienne : l’Autriche, dans la question du percement des Alpes, se trouva ainsi évincée. En 1866, nouveau pas en avant, par l’établissement de la confédération de l’Allemagne du Nord, suite à la défaite de l’Autriche à Sadowa. Le moment était venu de songer au percement projeté par un concert de l’Allemagne, de la Suisse et de l’Italie. En 1869, se tint la conférence de Berne, imaginée par M. de Bismarck, et où intervinrent à la fois la Suisse, l’Allemagne du Nord, le grand-duché de Bade, le royaume de Wurtemberg et, enfin, l’Italie. La perforation du Saint-Gothard y fut décidée. La France s’inquiéta, le corps législatif s’émut. M. Rouher annonça que la chose était si grave qu’elle serait traitée diplomatiquement. En attendant, on songeait en France au percement du Simplon pour contrebalancer les effets du Gothard. Le 20 juin 1870, une nouvelle conférence se tint à Yarzin, sous la présidence de M. de Bismarck. Le creusement d’un tunnel alpin par le col de Saint-Gothard y fut de nouveau résolu. Sans l’affaire du Hohenzollern d’Espagne, qui amena la guerre néfaste de 1870-71, nous aurions peut-être vu là un autre casus belli.
Les événements militaires et politiques qui suivirent portèrent momentanément l’attention de l’Allemagne d’un autre côté que de celui des Alpes, et ce ne fut en réalité que le 1er octobre 1872, — on peut dire après vingt-quatre ans de discussions, de pourparlers, de chicanes, — que le premier coup de pioche fut enfin donné. Au 31 décembre, on avait pénétré déjà de 120 mètres dans les Alpes, attaquées à la fois du côté nord ou helvétique, à Gœschenen, et à Airolo du côté sud ou « italien », bien qu’appartenant au canton suisse du Tessin. En 1873, on avança de 3 mètres par jour au total ; en 1874, ce fut près de 5 mètres ; en 1875, 6,65m ; en 1878, 7 mètres ; en 1879, 6,40 m. En somme, la moyenne a été de 5,58 m ou plus du double de celle du Mont-Cenis, qui est, on l’a vu, de 2,60 m. Le 29 février 1880 à onze heures dix minutes du matin, le tunnel était terminé, les deux parties communiquaient ensemble, on avait fait en sept ans et cinq mois 7.744,70 m dans la section de Gœschenen, et 7.167,70 m dans celle d’Airolo, en tout 14.912,40 mètres , qui est la longueur totale du tunnel du Saint-Gothard. L’altitude maximum du tunnel est, vers le milieu, de 1.155 mètres, de 1.100 m à Gœschenen et de 1.145 m à Airolo. La rampe, jusqu’au-delà du milieu du tunnel, n’atteint pas les 6 pour mille.
Le tunnel a été exécuté à l’aide de machines perforatrices perfectionnées, mues par l’air comprimé obtenu au moyen de presses hydrauliques. Du côté de Gœschenen la Reuss et du côté d’Airolo le Tessin, ont fourni en abondance l’eau qui était nécessaire. Ici, comme partout, on a eu à surmonter des difficultés de toute nature. Les roches traversées ont été d’une dureté exceptionnelle, des granités, des chlorites, des micaschistes, des gneiss, compacts, résistants, émoussant l’acier ; puis des éboulements subits, ou des éruptions instantanées de sources d’eau volumineuses, de véritables fleuves souterrains. On a vaincu tous ces obstacles. Du 29 février 1880 au commencement de décembre 1881, aucune locomotive n’a pu parcourir le tunnel. On a employé tout ce temps à le mettre en complet état. Vers la fin du mois de décembre, une locomotive a été lancée pour la première fois dans le tunnel, et ensuite quelques trains de marchandises et de voyageurs. L’inauguration solennelle n’a eu lieu qu’à la fin de mai 1882, et le 1er juin suivant, le service régulier a commencé.
L’entrepreneur chargé de l’exécution du tunnel, M. Favre, de Genève, ne faillit pas une minute à sa délicate et périlleuse mission. Nous l’avons connu à Paris, en 1879, où M. de Lesseps l’avait appelé dans le congrès international où se discutait le percement de l’isthme américain. Quelques semaines après, M. Favre est mort sur son champ de bataille, dans le tunnel, le 20 juillet 1879, comme il visitait les chantiers. On a attribué cette mort à un coup de sang, résultat de longues fatigues dans un milieu souvent méphitique, chargé d’humidité et brûlant. La température, au milieu du tunnel, s’est élevée à 32 degrés centigrades ou 2 degrés de plus qu’au Mont-Cenis ; on a même noté 35 et 37 degrés. L’anémie a abattu les mineurs ; d’autres affections les ont décimés : des gastrites bilieuses, la perte de l’appétit, une soif inextinguible, la maigreur, la pâleur, le pouls à 130 ; cent cinquante ouvriers sont morts dans le cours des travaux, atteints par des explosions de mines, des éboulements, ou surpris par des inondations souterraines ; enfin, quatre cents ouvriers ont été blessés dans ces cas ou autrement. Ils ont tous été soignés à l’hôpital de la compagnie.
Le coût du tunnel du Saint-Gothard et du chemin de fer qui y accède a dépassé de beaucoup les prévisions des ingénieurs. Il s’élève à 227 millions, ce qui, pour une ligne qui mesure en tout 250 kilomètres avec ses embranchements, équivaut à 908.000 francs par kilomètre, ou près d’un million, prix excessif, car la ligne n’a qu’une seule voie. Dans le principe, le capital de la compagnie était de 187 millions ; il a été porté, en 1878, à 238, dont 34 millions d’actions, 85 millions d’obligations et 119 millions de subventions. Celles-ci incombent pour 58 millions à l’Italie, 31 millions à l’Allemagne, 30 millions à la Suisse. La compagnie a son siège social à Lucerne.
Le coût énorme des travaux n’est pas le seul désavantage de la ligne du Gothard. Le faible rayon des courbes, qui ne dépasse pas, sur certains points, 300 mètres, et la cote élevée des rampes, qui atteint le 26 pour mille, offrent aussi des inconvénients graves. Souvent les courbes se suivent en lacets, comme il arrive en pays de montagnes. Enfin, soixante tunnels ou galeries, distribués de part et d’autre du grand tunnel, — trente et un entre Immensee, point de départ de la voie, sur le lac de Zoug, et Gœschenen, et vingt-neuf entre Airolo et Chiasso, terminus de la voie sur la frontière italienne, — ayant ensemble un développement double de celui du grand tunnel, c’est-à-dire 28.574 mètres, forment à leur tour un obstacle sérieux à la rapidité et partant, à l’économie des transports. Quelques-uns de ces tunnels sont tournants, suivent même sous le sol une ligne sinueuse, remontant sur elle-même, hélicoïdale, pour racheter les différences de niveau. Tout cela empêche que la vitesse dépasse 25 kilomètres à l’heure pour les marchandises, et 30 à 40 kilomètres, pour les trains de voyageurs. De Bâle à Milan, on met douze heures pour faire 400 kilomètres, ce qui fait 33 kilomètres à l’heure. En outre, il faut des locomotives très lourdes, pour assurer l’adhérence sur les rails à la montée ou à la descente, et très puissantes, pour gravir aisément les rampes. Enfin, on est tenu à une plus grande consommation de combustible, sans compter que l’usure du matériel est considérable. En définitive, les dépenses de traction sur ces chemins de fer, dont les rampes varient de 15 à 26 pour mille, sont doubles de celles d’un chemin de fer à faible pente.
Le parcours de la ligne du Gothard, d’Immensee, sur le lac de Zoug, à Chiasso, canton du Tessin, sur la frontière d’Italie, est de 232 kilomètres. Le chemin est des plus pittoresques. C’est désormais la route préférée des voyageurs qui vont en Italie et en Orient par Brindisi. On côtoie au départ les magnifiques lacs de Zoug et de Lucerne, puis, à Fluelen, commence l’ascension. On suit tout le temps la vallée de la Reuss. On passe par cette série de tunnels dont il a été parlé, et dont quelques-uns sont en hélice, en forme de vis ; on entre par en bas, on sort par en haut. A droite, à gauche les Alpes neigeuses, les glaciers. On franchit le grand souterrain, entre Gœschenen et Airolo. Ce trajet dure vingt-cinq minutes. La température, dans le tunnel, est sensiblement la même que celle de l’extérieur, la ventilation est très bonne. Passé le milieu du tunnel, le point culminant de la voie est de 1.154,60 m au-dessus du niveau de la mer ; le point culminant, du tunnel du Mont-Cenis est plus haut de 180 mètres.
On descend, et l’on suit la vallée du Tessin. Nouvelle succession de tunnels. Les neiges se montrent de nouveau. La voie est encaissée. Peu à peu, la vallée s’élargit. On salue Biasca, Bellinzona, avec ses trois pittoresques châteaux, autrefois lieux de séjour des syndics ou baillis des trois cantons qui gouvernèrent la vallée du Tessin jusqu’en 1798 : Uri, Schwytz, Unterwalden. On arrive au lac Majeur, où l’on quitte la vallée du Tessin : le Tessin se jette dans ce lac ; de là, on salue Lugano et son lac Ceresio, que l’on suit et qu’on traverse par le milieu sur une chaussée qui divise le lac. Aucune vue plus magique. Enfin on touche à Chiasso, où surgit la douane italienne. Ici la voie du Gothard s’unit à celle de Côme, Monza et Milan. Un embranchement qui se soude sur la voie principale en aval de Bellinzona va à Locarno, sur la rive droite du lac Majeur ; un autre, qui se détache du premier, suit la rive gauche du lac Majeur jusqu’à Pino, ce qui permet de gagner Gênes par Novare et de faire du port de la Ligurie le port de la Suisse, et d’une partie de l’Allemagne, sur la Méditerranée.
Ce qui assure la prospérité de la ligne du Gothard, malgré tous les inconvénients qu’elle présente et que nous avons signalés, c’est précisément la situation réciproque de l’Italie, de la Suisse et de l’Allemagne, soit au point de vue économique, soit au point de vue géographique. Le versant sud du Gothard est « italien », car il comprend d’abord un canton suisse de langue italienne, le Tessin, puis le Milanais, la Lombardie toute et l’on peut dire aussi le Piémont et la Vénétie ; et de même, le versant nord est « allemand », car d’abord il ne renferme que des cantons suisses de langue allemande et, par Zurich et Bâle, il communique avec l’Allemagne du sud et de l’ouest. La vallée du Rhin, et subsidiairement celle de l’Escaut, enfin celles du Weser et de l’Elbe, sont reliées par là avec celles du Tessin et du Pô ; la Mer du Nord avec la Méditerranée ; Anvers, Brème, Hambourg, avec Gênes, Venise et Trieste ; en un mot, c’est le nord et le sud de l’Europe qui communiquent par ce tunnel.
La Suisse est un pays industriel, l’Italie un pays agricole, l’Allemagne une contrée à la fois industrielle et agricole ; mais, pour le cas qui nous occupe, plus industrielle qu’agricole. Là est tout le nœud des relations qu’ouvre le Gothard entre ces trois pays. L’Allemagne expédie par là à l’Italie les houilles de la Sarre, de la Ruhr, de la Saxe, qui déjà font concurrence aux charbons anglais dans la Lombardie et le Piémont ; les fontes, les fers, les aciers, les métaux ouvrés, la quincaillerie, les machines, les locomotives de la Westphalie, de la Prusse rhénane ; la bière de Strasbourg, de Francfort, d’Ulm, de Munich ; les soieries, le sucre, l’alcool, le papier. A son tour, la Suisse expédie à l’Italie par-là ses tissus de soie, de coton, de lin, provenant des filatures de Bâle et de Zurich, ses fromages d’Emmenthal, son lait condensé, son bétail, son horlogerie et sa bijouterie de Genève, ses bois d’œuvre et ses bois à brûler. Enfin l’Italie expédie par le Gothard à la Suisse et à l’Allemagne la soie, le coton, le chanvre, le lin, sa bijouterie, ses objets d’art, son corail, le bétail engraissé, le vin, les raisins, l’huile, le soufre, le marbre, ses fruits si variés, le blé, la farine, le riz, toutes les céréales, les légumes frais et secs, les conserves, les œufs, le lait, les fromages, tels que le parmesan et le stracchino, le beurre, tous les produits de vacherie et de basse-cour.
L’exploitation du chemin de fer par le tunnel du Saint-Gothard a commencé le 1er juin 1882. Depuis lors, la compagnie a publié des statistiques mensuelles et l’on peut dire que le nombre des voyageurs, le tonnage des marchandises, et, par suite, le chiffre des recettes et des bénéfices sont allés toujours en augmentant. Du 1er janvier au 31 décembre 1883, le nombre des voyageurs transportés par le chemin de fer du Gothard a été de 1.040.326 , et les recettes, y compris les bagages, ont été de 4.804.538 francs. C’est en juillet qu’il passe le plus de voyageurs, puis en août et en septembre. Ces trois mois ont été respectivement, en 1883, de 140.750, 126.056 et 109.600 voyageurs. Le mois de décembre a eu le moins de voyageurs : 55.300. Le nombre des tonnes des marchandises transportées a été de 462.215, et les recettes, dans cette partie du trafic, de 5.634.533 francs. La moyenne du parcours des marchandises a été de 161 kilomètres. Le transit de l’Allemagne en Italie, et vice versa, a été de 43.200 tonnes, du 1er juillet au 31 décembre 1882 ; cela fait par an 86.400 tonnes. Pour 1883, il est estimé à 120.000 tonnes, dont 80.000 pour le transit de l’Allemagne en Italie. L’Allemagne expédie en outre 30.000 tonnes en Suisse. En additionnant les recettes de 1883, afférentes aux voyageurs et aux marchandises, on trouve un total de 10.439.071 francs, soit un rendement par kilomètre de 39.255 francs.
L’excédent des recettes sur les dépenses est de 5.417.462 francs. Le produit net, en y ajoutant le solde de 1882 et des intérêts divers, a été de 5.925.595 francs. La somme à payer pour les intérêts et l’amortissement des obligations s’élève à 4.250.000 francs. La somme disponible, 1.675.595 de francs, a été répartie à la réserve, au fonds de prévoyance, à l’amortissement et à l’intérêt des actions, lequel a été de 3%. Il avait été de 2,5 % pour le dernier semestre de 1882. On voit par-là que si la situation n’est pas des plus brillantes pour les actionnaires, qui, après dix-neuf mois d’exploitation, ne touchent que 2,5 à 3 % d’intérêt, l’entreprise n’en est pas moins complètement consolidée, puisqu’on n’avait compté, dans le principe, que sur 260.000 voyageurs et sur 390.000 tonnes de marchandises, dont 150.000 pour le transit international. Néanmoins, on s’occupera plutôt à l’avenir de réduire les tarifs pour augmenter le trafic que de tendre à élever le taux de l’intérêt des actions. L’acte constitutif de la compagnie du Gothard fixe à 6 % l’intérêt des actions et à 5 % l’intérêt des obligations. Dans le cas où les dividendes des actions s’élèveraient au-dessus de 7 %, la moitié de l’excédent serait attribuée aux états qui ont fourni les 119 millions de subventions, et ce, en proportion de leur versement.
Les tarifs ont été réglés par le traité du 15 octobre 1869 entre la Suisse et l’Italie. L’Allemagne s’est ralliée à ce traité le 28 octobre 1871, et il a été complété par l’acte additionnel du 12 mars 1878, qui autorise la compagnie du Gothard à prélever les tarifs maxima suivants pour le transit entre l’Allemagne et l’Italie. Pour les voyageurs de première classe 0,104 francs par kilomètre ; pour ceux de seconde classe 0,072 francs, et pour ceux de troisième classe 0,052 francs. Sur les rampes qui sont supérieures à 15 pour mille, le supplément du prix des places est de 50 %. Quant aux marchandises, le prix de la tonne kilométrique est de 0,45 francs en petite vitesse, et pour des rampes supérieures à 15 pour mille ; pour des rampes inférieures à 15 pour mille, il n’est que de 0,30 francs. Tous ces tarifs sont très élevés, et nous en avons dit les raisons ; aussi a-t-on recours aux tarifs dits de réforme qui s’appliquent aux wagons complets de 10 tonnes. Les prix se réduisent alors à 0,08 et à 0,05 francs par tonne et par kilomètre pour les expéditions de marchandises lourdes : céréales, vins, coton, laines, fers, machines, houille, etc.
Les tarifs de réforme s’appliquent surtout au transit international, par exemple à celui de l’Allemagne en Italie, qui est toujours à meilleur marché que les tarifs suisses et italo-suisses, et c’est pourquoi les Suisses sont si mécontents et prétendent que ce chemin de fer n’est qu’un chemin de fer allemand, fait pour les seuls Allemands et contre la Suisse. Le tarif allemand est admis sur le parcours suisse avec 15 % au moins d’augmentation. De Mulhouse à Chiasso, on paie pour le transport des machines 2,18 francs le quintal, tandis que, de Zurich à Chiasso, où l’on ne compte que 330 kilomètres, on paie 2,57 francs. Les métaux ferreux coûtent, de Dortmund, en Westphalie, à Chiasso, 29,45 francs le quintal, de Düsseldorf, 27,95 francs ; mais de Lucerne à Chiasso, 29 francs. Les Suisses n’ont-ils pas raison de se plaindre ? Par l’établissement de ses tarifs, la Compagnie du Gothard privilégie le transit et néglige le commerce intérieur.
La lutte du Mont-Cenis contre le Saint-Gothard n’est guère possible, à moins que la Compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée ne diminue beaucoup ses tarifs.
Ainsi, de Zurich à Gênes, par le Mont-Cenis, le transport des machines est de 5,33 francs le quintal, tandis que, par le Gothard, il n’est que de 4,37 francs, soit un seul franc de moins. Il est vrai que ce cas est le plus défavorable ; car si l’on part de Milan pour Paris, par le Saint-Gothard ou par le Mont-Cenis, on trouve les mêmes distances, on met le même temps, on paie le même prix, à très peu de différence près.
Ainsi, de Paris à Milan, par Modane et Turin, il y a 951 kilomètres, on paie 119,75 francs, et l’on met 22 heures ; de Paris à Milan, par Bâle, Lucerne et le Saint-Gothard, on compte 924 kilomètres, on paie 117,35 francs, et l’on met 25 heures.
L’Allemagne étend de plus en plus son commerce avec l’Italie par le Gothard, et cela la France ne peut guère l’empêcher, car cette voie nouvelle a été faite essentiellement pour développer les échanges que l’Allemagne, la Suisse et l’Italie peuvent opérer entre elles ; Par le Gothard, passent la bimbeloterie, les machines et les métaux de Nuremberg, les meubles de la Forêt-Noire, la coutellerie et les armes de Solingen, la maroquinerie de Berlin, les cuirs et les peaux de Reutlingen, la mercerie, les fils d’Elberfeld, de Leipzig, les papiers peints de Crefeld, les fers, la quincaillerie d’Essen, le fer et l’acier de Mannheim, les tissus de coton et de lin de Bielefeld, les draps, les flanelles de Chemnitz. Que l’on prenne maintenant la mercerie, la bimbeloterie, l’article de Paris, et, dans nos départements de l’Est, les Vosges, la Meurthe-et-Moselle, tous les produits manufacturés analogues à ceux dont nous venons de parler pour l’Allemagne, on verra que l’élévation de nos tarifs de chemins de fer nous empêche de lutter, et cependant nous ne pouvons lutter contre cette concurrence déjà si sérieuse que par un abaissement notable des tarifs. Cet abaissement, les compagnies intéressées, celle de Paris-Lyon-Méditerranée et celle de l’Est, au besoin celle du Nord, pourraient l’entreprendre de concert avec l’état. On sait que les compagnies, depuis les conventions que l’état a conclues avec elles, sont favorables à l’abaissement des tarifs et qu’elles sont prêtes à faire la même diminution que l’état si celui-ci abaisse, de son côté, les impôts qui pèsent encore si lourdement sur les transports. Le 8 février 1882, M. de Freycinet, alors ministre des affaires étrangères et président du conseil, eut l’idée de faire de M. Amédée Marteau, publiciste, rédacteur d’un journal du Havre, une sorte de consul ambulant. Il le chargea, pour commencer, d’étudier l’influence que pouvait avoir, au point de vue des intérêts français, l’ouverture du chemin de fer du Gothard. M. Marteau visita Marseille, Gênes, Milan, Lucerne, Bâle et adressa un premier rapport au gouvernement le 5 juillet 1882. Il y avait alors seulement un mois que la ligne du Gothard était en exploitation. L’année suivante, M. Marteau repartit pour faire un nouvel examen et un deuxième rapport de lui fut publié en novembre 1883.
Dans ce dernier rapport, M. Marteau constate que le commerce général de la France avec l’Italie, en 1882, a diminué de 23 millions, tandis que le commerce de l’Allemagne, comparé à celui de 1881, a augmenté de 18 millions. La diminution a porté chez nous sur les tissus de soie, de laine, de coton, la mercerie, la bimbeloterie, la verrerie, la porcelaine, la faïence, les produits chimiques, les ouvrages en bois. M. Marteau dit qu’il a rencontré en Italie, en Suisse, de nombreux agents allemands qui venaient tirer parti de la nouvelle voie pour accélérer les échanges entre les trois pays, mais surtout avec l’Allemagne ; et il a attribué à l’influence de ce chemin de fer, qui n’avait cependant, en 1882, que sept mois d’existence, le déficit qu’il constatait dans notre commerce avec l’Italie et l’augmentation qu’il relevait chez les Allemands. Il dit encore que la ligne du Mont-Cenis a perdu, en 1882 et en 1883, des centaines de milliers de francs sur le rendement de son trafic et que la perte sur la recette kilométrique a déjà dépassé, pour les sept premiers mois de 1883, le chiffre de 3.000 francs. En fait, cette perte a été, en 1882, de 58.000 francs, soit 1.110 francs par kilomètre, et, en 1883, de 402.959 francs, soit 3.030 francs par kilomètre ou 6 %. Mais aujourd’hui la perte n’existe plus, et, dans le premier semestre de 1884, le Mont-Cenis est en gain sur le semestre correspondant de 1883, de 55.000 francs, soit 1,87 francs % par kilomètre. M. Marteau ajoute enfin que l’Allemagne a gagné sur le marché italien ce que la France a perdu, et que l’augmentation a porté principalement sur les liquides, les denrées coloniales, les produits chimiques et tinctoriaux, les minerais, les métaux bruts et ouvrés, les céramiques, la verrerie, les céréales, les farines, les pâtes. Sur les faïences et la verrerie seules, l’exportation de l’Allemagne en Italie s’est accrue de 6 millions.
Tout ce raisonnement nous paraît peu fondé, et le remède que nous propose M. Marteau de construire un chemin de fer par le col du Simplon, semble bien anodin. Il y a, dans notre commerce extérieur, pour 1883 et pour les six premiers mois de 1884, des diminutions bien autrement importantes que celles que M. Marteau s’est plu à relever, en ce qui concerne l’Italie, pour 1882. Le Saint-Gothard n’entre pour rien là-dedans, ou, s’il y entre, c’est pour une somme insignifiante, et c’est à la crise, la crise financière, économique qu’il faut s’en prendre. C’est la liquidation du krach de 1882 qui amène tous ces déficits, lesquels réagissent sur les transports de nos chemins de fer. En 1883, le Paris-Lyon-Méditerranée, ancien réseau, a perdu 6,24 francs % sur ses recettes de 1882 ; le Midi, 2,57 francs ; le Nord, 1,79 francs ; l’Orléans, 1,15 francs ; l’Est, 0,78 francs ; l’Ouest, 0,46. La concurrence du Saint-Gothard n’a rien à voir dans tout cela, non plus que dans les moins-values sur le montant de nos évaluations budgétaires ou sur le rendement de toutes les contributions directes et indirectes. C’est à 13 millions que le déficit s’est élevé sur le revenu des contributions pour le semestre de janvier à juin 1884, et, pour notre commerce extérieur, à l’importation et à l’exportation, le déficit total est de 107 millions, pour ce même semestre comparé au semestre correspondant de 1883. Là, et non dans le Saint-Gothard, répétons-le, est la cause prédominante de la diminution de notre commerce. Il faut reconnaître aussi que les salaires sont, chez nous, devenus trop élevés, et, par conséquent, que le prix de revient de nos fabrications est maintenu trop haut relativement à celui de l’étranger. Les frais de manutention des marchandises dans nos ports, sur nos quais, sont aussi trop onéreux. Enfin, par l’effet même des expositions internationales, de l’extension des communications rapides par les chemins de fer, les navires à vapeur et les télégraphes, de la diffusion des découvertes scientifiques, la production est devenue partout trop forte, a dépassé les besoins de la consommation, et, de là, une crise économique qui est à peu près universelle et qui ne frappe pas seulement la France, mais encore l’Angleterre, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, les États-Unis et d’autres pays.
Quant à ce qui concerne spécialement le tunnel du Saint-Gothard, nous pourrons lutter avec assez d’avantage par l’abaissement des tarifs communs de transit international. C’est sur ce point seulement que la lutte peut être ouverte et que nous devons la poursuivre à tout prix. Mais il faut d’abord bien s’entendre sur ce qu’on appelle le transit. Ceux qui croient que le transit se fait par le Saint-Gothard entre Londres et Brindisi, bien mieux, entre Londres et l’extrême Orient, et que nous serions ruinés si ce transit, si la malle de l’Inde nous échappait, ceux-là se trompent étrangement. Le transit dont ils parlent ne se fait que par le canal de Suez ou par le cap de Bonne-Espérance. Il touche, dans la Méditerranée, à Trieste, Venise, Gênes, Marseille ; et, passé Gibraltar, à Bordeaux, Le Havre, Rotterdam, Amsterdam, Brème, Hambourg, principalement à Londres, et, pour la plus grande part, ce transit, aucun chemin de fer ne le détournera. On transporte sur l’Océan, la route éternelle, et neutre, et gratuite, à moins d’un centime et même d’un demi-centime par tonne et par kilomètre, tandis que, sur un chemin de fer, on ne peut descendre à moins de 2 ou 3 centimes ; et nous avons vu que sur le Saint-Gothard ces prix sont de beaucoup dépassés. Les frets sur mer sont descendus à des minima incroyables, et l’on ne tient même plus compte de la différence des distances. Le fret de Bombay à Marseille, pour le blé, par exemple, est le même que celui de Bombay à Londres ou à Liverpool.
Quant au transit par terre, il est insignifiant pour les marchandises (35.000 tonnes au plus d’Angleterre et de Belgique en Italie par la France, et vice versa) et tout ce transport représente à peine 1 million 1/2 de francs, soit un quart % du rendement des chemins de fer par où il a lieu : le Nord, l’Est, le Paris-Lyon-Méditerranée. Pour le mouvement des voyageurs suivant la même voie, venant du nord et du nord-est, il est d’environ 40.000 individus.
Mais ce qu’il s’agit d’obtenir dans la lutte de nos chemins de fer avec celui du Saint-Gothard, c’est, par exemple, de conserver à Marseille l’alimentation de la Suisse et d’une partie de l’Allemagne du Sud et de l’Ouest, pour les blés et toutes les céréales, les farines, les graines, les laines, les sucres, les vins, les légumes secs, et empêcher que l’Allemagne nous chasse de ces marchés, qu’Anvers ou Hambourg, au nord, et même Gênes ou Trieste, au sud, remplacent Marseille. Car cela est possible, cela se fait, et voici comment. Les tarifs de transit direct d’Allemagne en Italie à travers la Suisse sont à meilleur marché que les tarifs suisses et italo-suisses. A la fin de 1882, on a promulgué des tarifs de faveur encore plus réduits sur les houilles, le sucre, aussi bien contre les importations de la France en Italie que contre celles de l’Angleterre. L’Allemagne a la prétention de chasser les charbons anglais du Milanais et du Piémont, et déjà on installe, sur le lac Majeur, à Locarno, à Luino, des entrepôts de houille, et ces jolis sites deviennent des ports charbonniers, au grand désespoir des touristes. Les négociants de Francfort, de Cologne ne parlent de rien moins que de commercer avec Barcelone et l’Espagne, par la ligne du Saint-Gothard et par Gênes, sans plus passer par Marseille, et déjà une ligne de bateaux à vapeur italo-allemande est projetée pour exécuter ce transit direct.
Nous pourrons lutter utilement contre tout cela. Il existe un tarif international commun entre la Compagnie de Paris-Lyon-Méditerranée et les chemins de fer de la Suisse centrale et occidentale, qui permet de transporter à prix réduit, par wagons de 10 tonnes, le blé, les céréales, les farines, les légumes secs, les graines oléagineuses ou autres. C’est ce tarif, connu sous le nom de tarif commun de transit n° 442, dont le Conseil fédéral, à Berne, par sa décision du 19 novembre 1882, sans doute pour obéir aux suggestions de l’Allemagne, avait interdit l’application à partir du 15 février 1883. Heureusement que les réclamations furent si pressantes, notamment de la part de la chambre de commerce de Marseille, soutenue par le gouvernement français, que la décision du Conseil fédéral fut rapportée le 13 février 1882, deux jours avant la date fatale, et alors il fut décidé qu’entre le chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée et les chemins de fer de la Suisse occidentale et Simplon, de Jura-Berne-Lucerne, Central-Suisse, Nord-Est-Suisse, etc., un nouveau tarif commun de transit, via Genève, prendrait date à partir du 15 mai 1883, abaissant au minimum le prix de transport des céréales et autres grains entre Marseille et les principaux centres commerciaux de la Suisse, de manière à équilibrer les conditions de la lutte pour le trafic et le transit entre Marseille, Gênes et Anvers, par suite de l’ouverture du Saint-Gothard. Ce nouveau tarif porte le nom de tarif commun de transit n° 445 bis, et il y est dit que, par wagon de 10 tonnes, le blé, le riz, toutes les céréales, les légumes secs, de Marseille à Berne, paieront 32,50 francs la tonne, dont 2,50 francs pour les docks de Marseille, 20 francs pour la ligne de Paris-Lyon-Méditerranée et 10 francs pour les chemins de fer suisses. D’Anvers à Berne, c’est plus cher : 35,50 francs, et de Gênes à Berne, par le Saint-Gothard, 32,90 francs. De Marseille à Bâle, c’est 29,80 francs pour 767 kilomètres ; de Marseille à Zoug, 30,87 francs ; à Soleure, 31,94 francs ; à Zurich, 32,49 francs ; à Winterthur, 33,38 francs ; à Romanshorn, sur le lac de Constance, 34,97 francs.
Par le tarif n° 451 (qui doit être à cette heure homologué), les vins en fût paieront, de Marseille ou de Sète à Bâle, 4l francs par wagon de 5 tonnes et 37 francs par wagon de 10 tonnes. A ce compte, Marseille et Sète pourront toujours lutter avec les ports concurrents du Nord, tels qu’Anvers, pour l’alimentation de la Suisse et même de l’Allemagne occidentale et méridionale, et avec les ports concurrents du Sud, tels que Gênes, venant par le Saint-Gothard aux mêmes marchés, et l’on ne verra plus ce qui a déjà été vu malheureusement en 1882, où un navire qui était d’abord venu à Marseille chargé de blé, recevait ensuite l’ordre de relever pour Gênes, tandis qu’un autre navire était de même réexpédié de Marseille à Gênes pour y livrer des laines vendues et destinées à une filature de Munich, lesquelles avaient dû d’abord transiter par Marseille.
IV. — LE TUNNEL DE L’ARLBERG.
Le 4 janvier 1880, avant que le tunnel du Saint-Gothard fût achevé, le gouvernement austro-hongrois signait une convention avec le gouvernement et les compagnies de chemins de fer suisses, en vue de construire une nouvelle voie ferrée à travers le massif de l’Arlberg, pour parer à la concurrence que l’ouverture de la ligne du Saint-Gothard allait faire à l’Autriche-Hongrie sur le marché de la Suisse. En même temps, ce projet avait pour objet d’annihiler les effets du nouveau tarif douanier allemand dirigé contre les produits hongrois et autrichiens qui entraient par la frontière de l’Allemagne. Le but principal que poursuivait l’Autriche-Hongrie était d’augmenter l’importance de son commerce avec la Suisse par des relations directes, et non plus au moyen d’un transit détourné effectué par les voies ferrées germaniques. Enfin, la nouvelle ligne était destinée à réunir au Tyrol la province de Vorarlberg, riche et industrieuse, bien que d’une étendue limitée et jusque-là complètement séparée du reste de l’empire austro-hongrois par le massif de l’Arlberg. C’est ainsi que nous avons vu le roi Charles-Albert songer lui aussi, dès 1841, au tunnel du Mont-Cenis pour réunir la Savoie au Piémont.
Le tunnel de l’Arlberg sera, en dernière analyse, la grande voie de communication destinée à détourner des rails allemands le transit entre l’Autriche Hongrie, la Suisse et la France, et même entre la vallée du Danube et la vallée du Rhin. Zurich deviendra ainsi l’entrepôt entre la France et l’Autriche-Hongrie ; cette route rattachera la Serbie, la Roumanie, la Turquie, la Russie elle-même à tout l’occident de l’Europe ; en un mot, ce sera comme le lien entre Constantinople et Paris. C’est l’ancien grand chemin de l’Orient à l’Occident qu’il s’agit de reprendre, le chemin qui fit au moyen âge la fortune de Nuremberg, d’Ulm, de Ratisbonne, de Francfort, républiques marchandes qui étaient en relations continuelles avec celles de Venise, de Gênes, de Pise, de Florence.
Le projet de loi pour la construction du chemin de fer de l’Arlberg fut déposé par le ministre du commerce d’Autriche le 24 janvier 1880, voté par la chambre des représentants de Vienne, le 15 mars, par la chambre des seigneurs, le 3 mai, et sanctionné par l’empereur le 7. Le 15 mai, la direction des chemins de fer de l’état reçut l’ordre de commencer les travaux en régie ; ils furent inaugurés les 14 et 24 juin, presque simultanément, de l’un et de l’autre côté. On alla vite en besogne, et cette célérité ne s’est pas du tout démentie jusqu’à l’achèvement complet des travaux, dont la rapidité a tenu du prodige. On a procédé ici avec une conscience et un coup d’œil étonnants ; mais on avait pour soi, il faut bien le reconnaître, l’expérience des deux précédents grands tunnels, celui du Mont-Cenis et celui du Gothard.
Le chemin de fer de l’Arlberg unit Innsbruck à Bludenz par le col de l’Arlberg. Cette chaîne de montagnes sépare le bassin du Danube de celui du Rhin, et, à Bludenz, le chemin de fer se joint aux chemins suisses qui vont à Zurich et au lac de Constance, à Bregenz, à Romanshorn. Le chemin de fer de l’Arlberg comprend : 1° une ligne en plaine, d’Innsbruck à Landeck, qui remonte la vallée de l’Inn et mesure 72 kilomètres ; elle a été ouverte le 1er juillet 1883 ; 2° une ligne de montagnes qui va de Landeck à Saint-Antoine, de construction assez difficile, comprenant une série de petits tunnels, dont quelques-uns sont tournants, de viaducs, d’aqueducs, de ponts, d’abris contre la neige et les avalanches, de murs de soutènement contre les poussées du terrain ; 3° le tunnel de l’Arlberg, qui va de Saint-Antoine à Langen et mesure 10.266 mètres ; 4° enfin, une autre ligne de montagnes qui va de Langen à Bludenz et qui mesure, avec la première, une longueur totale de 65 kilomètres, ce qui donne, pour le développement total de la ligne de l’Arlberg, 147 kilomètres, y compris le tunnel.
C’est le 13 novembre 1880 que la perforation mécanique a été mise en train au tunnel de l’Arlberg, et c’est le 13 novembre 1883, trois ans après jour pour jour, que la communication s’est faite. L’avancement journalier a été moyennement de 8,30 m , « plus de mètres de chaque côté », et l’on a fait jusqu’à 10 mètres par jour au mois de janvier 1883. Cet avancement représente plus du triple de celui du Mont-Cenis et moitié en plus de celui du Gothard. Le Gothard est plus long que l’Arlberg d’un tiers et d’un cinquième du Mont-Cenis. Le seuil du tunnel de l’Arlberg est légèrement bombé. Il s’incline de part et d’autre, à partir du milieu, dont l’altitude est de 1.310 mètres, celle du col de l’Arlberg étant d’ailleurs de 1.797 mètres. A l’entrée du tunnel, sur le versant du Tyrol, ou côté est, l’altitude est de 1.302 mètres, et, à la sortie, sur le versant suisse, ou côté ouest, elle est de 1.215 mètres. Sur une section du tunnel, la pente va jusqu’à 28 pour mille. La rencontre ne s’est pas faite au milieu du tunnel, mais au-delà, du côté ouest, l’avancement ayant toujours été plus rapide du côté est, où le terrain était meilleur et les machines mieux installées et d’un meilleur système. La longueur totale mesurée du tunnel a été inférieure de 4 mètres à celle qui avait été déterminée par le calcul, soit 10.266 mètres au lieu de 10.270. En tenant compte des dates extrêmes pour la durée de percement des trois grands tunnels, on voit que le Mont-Cenis a été percé en treize ans et quatre mois, le Saint-Gothard en sept ans et un mois et l’Arlberg en trois ans et cinq mois. Les entrepreneurs de l’Arlberg ont été en avance d’un an et deux mois sur les délais du cahier des charges et doivent, dit-on, recevoir, à titre de prime, 2.000 francs par jour d’avance, soit, en tout, 840.000 francs. S’ils avaient dépassé la limite de temps fixée, ils auraient dû, en retour, payer une amende de 2.000 francs par jour de retard. Le chiffre total des ouvriers a été de 2.270 pendant la durée des travaux, dont 1.730 pour les travaux souterrains, soit 82 % du chiffre total.
Au Mont-Cenis, au Gothard, on avait percé, le tunnel par le sommet, à l’Arlberg on l’a percé par la base, et ce procédé a paru plus sûr, plus rapide et plus économique que le précédent. Les roches traversées ont été principalement le gneiss et le micaschiste, roches de mica et de feldspath ou de mica et de quartz, le micaschiste dominant, tandis qu’au Gothard c’était le gneiss. Du côté tyrolien a été installée la machine perforatrice à percussion de l’entrepreneur Ferroux, aidé de l’ingénieur italien Cecconi, et, du côté suisse, fonctionnait la machine perforatrice à roder de l’ingénieur Brandt, aidé de l’entrepreneur Lapp, Autrichien. La première machine, celle de Ferroux, qui avait été ingénieur en chef au tunnel du Gothard, était actionnée par l’air comprimé produit par des pompes de compression mues par des turbines, la seconde était mue par l’eau sous pression, ainsi que les ventilateurs. C’était la lutte de l’air et de l’eau comprimés : l’air, qui avait déjà fonctionné au Mont-Cenis et au Gothard, l’eau, qui entrait ici en scène pour la première fois et triomphait. Au Mont-Cenis, l’Arc et le torrent de Bardonnèche, au Gothard, la Reuss et le Tessin, avaient fourni de l’eau en abondance ; à l’Arlberg, ç’a été la Rosanna, affluent de l’Inn, du côté tyrolien, et l’Albenz, affluent de l’Ill, du côté suisse. L’installation de tous les appareils hydrauliques a coûté 2 millions de francs. La Rosanna a été barrée à la cote de 132 mètres au-dessus du tunnel, et on a pu ainsi amener l’eau à la pression de 13 atmosphères au bâtiment des machines, qui étaient du système dit à colonne d’eau. En été, la force disponible était de 1.500 chevaux ; en hiver, de 800 seulement, à cause des gelées. Sur l’Albenz, on obtenait des pressions allant jusqu’à 18 atmosphères et une force de 8 à 900 chevaux, dont 450 pour la machine perforatrice. Les machines donnaient 78 % du travail théorique.
Ce fut le mardi 13 novembre 1883, que le tunnel de l’Arlberg fut achevé par un coup de mine, abattant la paroi rocheuse qui séparait les deux galeries venant à la rencontre l’une de l’autre. Le lundi suivant, 19 novembre, jour de Sainte-Elisabeth, patronne de l’impératrice d’Autriche, fut choisi pour la date de l’inauguration du tunnel. La cérémonie se fit avec solennité à Saint-Antoine, en présence du ministre du commerce d’Autriche et du gouverneur du Tyrol. Ils entrèrent dans le tunnel, et le ministre mit le feu à la dernière cartouche au moyen d’un fil électrique. On arriva ainsi de l’autre côté du tunnel, à Langen, où fut frappée une médaille commémorative représentant le Tyrol et le Vorarlberg se donnant la main.
Le coût du chemin de fer de l’Arlberg, sur l’une et l’autre des voies d’accès, est estimé à 87 millions de francs, dont 40 millions pour le tunnel, ce qui met le coût du mètre courant du tunnel à 4.000 francs. Un crédit additionnel de 14.250.000 francs a été demandé, le 6 décembre 1883, à la chambre des représentants par le ministre des finances d’Autriche au nom du ministre du commerce. Ce surplus de dépenses est nécessité par le coût imprévu du soutènement du tunnel, qu’il a fallu revêtir d’une armature en briques pour résister à la poussée du terrain. Il en résulte que le prix de revient total du chemin de fer de l’Arlberg sera de plus de 100 millions de francs. Cette voie devra être entièrement achevée le 1er juin 1884, de sorte que la prochaine récolte de l’Autriche-Hongrie puisse être transportée en Suisse, et même en France, par l’Arlberg dans le courant du mois d’octobre suivant. Déjà, pendant le mois de janvier 1884, les délégués des compagnies suisses, autrichiennes et françaises ont tenu des conférences à Vienne pour l’examen des tarifs internationaux de la voie de l’Arlberg. Une réunion s’est tenue aussi à Munich, en février, entre les représentants des chemins de fer de l’Allemagne du Sud, des chemins de fer autrichiens et ceux de Suisse et de France pour discuter les tarifs communs de transit. En 1889, le chemin de fer de l’Arlberg pourra être racheté par l’état. Cependant des pourparlers ont déjà été entamés, dès le 5 décembre 1883, entre le ministre du commerce d’Autriche et le Conseil d’administration de l’Arlberg. On traiterait sur le pied de 200 florins au pair ou 500 francs par action.
V. — LES PERCEMENTS PROJETÉS. —
LE SIMPLON, LE MONT-BLANC, LE GRAND ET LE PETIT SAINT-BERNARD.
Voici les Alpes percées de trois côtés : à l’ouest, par le tunnel du Mont-Cenis ; au nord ou au centre, par celui du Saint-Gothard ; à l’est, par celui de l’Arlberg ; sans parler des tunnels du Semmering et du Brenner, aussi à l’est, et qui ont été comme les précurseurs de ceux-là. Toutefois, cela n’a pas suffi à satisfaire tous les pays intéressés à ces grands percements, et, de même qu’à propos du percement projeté du Gothard, on parlait en Suisse de percer de préférence le Lukmanier, le Splügen ou d’autres cols ; de même aujourd’hui, en France, la lutte est ouverte entre trois ou quatre projets qui tous réclament un nouveau tunnel afin de faire concurrence au Gothard.
Le Simplon. — Parmi ces divers projets, le seul qui ait été réellement bien étudié, le seul qui mérite de fixer l’attention, est le projet d’un tunnel par le Simplon. Le tunnel du Simplon » que les cantons de langue française, Genève, Vaud, Valais, Neuchâtel, Fribourg préféraient naturellement à celui du Saint-Gothard, réclamé par les cantons allemands et le canton italien du Tessin, a toujours eu la préférence aussi près la plupart des ingénieurs français, et ce projet a joui en France, à diverses reprises, d’un certain renom, d’une sorte de popularité, même parmi nos législateurs et nos hommes d’état. Le passage par le Simplon a déjà failli l’emporter sur celui du Saint-Gothard au temps où ce dernier était en discussion. Reconnaissons toutefois que la position du Saint-Gothard, au centre des Alpes, était meilleure, surtout pour l’objet qu’on, se proposait et qui était non-seulement de percer le massif alpin pour dégager la Suisse, mais encore d’unir par une voie de fer continue, allant du nord au sud, l’Allemagne, la Suisse et l’Italie. Le Saint-Gothard sera toujours le plus favorisé, à moins que l’avenir ne décide pour l’Arlberg, Quant au Mont-Cenis, il sera fatalement toujours au dernier rang, et déjà le Gothard l’emporte sur lui pour le transit venant du nord ou du nord-est de la France.
C’est à l’année 1852 que remonte le premier projet de percement du Simplon. Un groupe de financiers et d’entrepreneurs français obtint alors du Valais et de la Confédération suisse la concession d’une ligne ferrée partant du lac Léman, remontant la vallée du Rhône, et traversant les Alpes au Simplon. Ce projet n’eut pas de suites. En 1857, deux ingénieurs valaisans présentèrent le premier devis pour la traversée du Simplon ; puis vint M. Eugène Flachat, ingénieur français, en 1860. La même année, M. Vauthier, ingénieur des ponts et chaussées, frappé de la faible épaisseur relative que présente au Simplon le massif des Alpes, reconnut que, sur toute la chaîne, du Mont-Cenis au Tyrol, le Simplon était le seul point où l’on pût attaquer par un tunnel la montagne au-dessous de 1. 000 mètres, sans dépasser une longueur qui ne fût pas exécutable, et il fixait le côté pratique de ce travail par le fonçage d’un tunnel au niveau le plus bas possible de la montagne, à 743 mètres d’altitude, ayant 18.220 mètres de long, et qu’il appelait un tunnel de base, par opposition aux autres, qui sont des tunnels de faîte. De 1862 à 1878, divers ingénieurs présentèrent successivement cinq ou six projets différents, et enfin, en 1878, la compagnie nouvelle du chemin de 1er du Simplon, qui avait succédé à la compagnie primitive du Simplon, dont la déchéance avait été prononcée en Suisse et en Italie, en 1873-74, pour cause de non-exécution du cahier des charges, avait imaginé un projet complet qui figura à l’exposition universelle de Paris en 1878.
Déjà, en 1869 et 1870, quand le projet du Gothard s’était fait jour et l’avait emporté sur tous les autres, il avait été question du chemin de fer du Simplon à la tribune française, comme d’une sorte de revanche économique à prendre contre les Allemands qui nous menaçaient par le Gothard. En 1871, après la guerre franco-allemande, dont ce chemin de fer semblait devoir compléter les tristes résultats, le projet reparut dans l’Assemblée nationale, et, en 1874, M. Cézanne, ingénieur des ponts et chaussées, qui avait été nommé rapporteur de la commission élue à cet effet, le combattit victorieusement, en disant qu’il n’était utile à la France ni au point de vue commercial, ni au point de vue politique, mais plutôt nuisible, par la concurrence qu’il ferait à la voie plus française du Mont-Cenis. Il ajoutait qu’une compagnie pour le chemin de fer et le percement du Simplon s’était formée en Suisse, qu’elle n’avait pas fait de brillantes affaires et qu’il fallait repousser le projet du Simplon. Nous savons qu’aujourd’hui la compagnie du Simplon ne fait qu’une avec celle de la compagnie de la Suisse occidentale. « à la tête de cette compagnie se trouve M. Gérésole, ancien membre du Conseil fédéral, et qui a toujours patronné le Simplon. Il est soutenu, en France, par M. le député Wilson, et un groupe d’autres députés et d’ingénieurs. Plusieurs fois, cette motion du chemin de fer du Simplon est revenue à la chambre, et M. Wilson, nommé rapporteur, en 1879, a même déposé un rapport favorable, tandis que le sénat en recevait un de M. le général Billot en faveur du tunnel du Mont-Blanc. Enfin, en 1880, une commission parlementaire a été chargée d’étudier un nouveau passage des Alpes, notamment par le Simplon, mais n’a pas été trop favorable à ce dernier, bien que M. Léon Renault ait alors déposé sur le bureau de la chambre une proposition de loi tendant à ce qu’un crédit annuel de 50 millions de francs fût mis à la disposition du gouvernement pendant dix ans, à partir de 1881, pour subvenir aux frais de la traversée du Simplon.
Nous ne devons pas oublier, parmi les partisans déclarés du Simplon, M. W. Huber, ingénieur, qui est à demi français et a fait partie du corps de l’État-major suisse ; mais on peut dire que c’est M. Gérésole qui est l’âme de cette affaire et qu’il n’y a jamais épargné ni son temps ni son argent. Il a publié, depuis des années, une série de projets toujours nouveaux, accompagnés de nombreuses cartes, et, depuis 1882, il fait même paraître un Bulletin mensuel du tunnel du Simplon, où il tient le lecteur au courant de ses espérances et des progrès du Gothard.
Le dernier projet de tunnel que la compagnie ait publié date de 1882. Il donnerait, d’après ses auteurs, par des modifications opérées à la traversée du Jura, un raccourci sur le Gothard d’environ 100 kilomètres, de la Mer du Nord à Plaisance. Le tunnel serait ouvert à une altitude de 789 mètres du côté nord ou suisse, de 678 mètres sur le côté sud ou italien, et il atteindrait, au point culminant central, une altitude de 708 mètres. Il ne passerait pas précisément sous le Simplon, mais sous le col de Monte-Leone, et il aurait une longueur totale de 20.000 mètres, ou une fois et un tiers la longueur du tunnel du Gothard, le plus long de tous les tunnels connus. Un pareil ouvrage coûterait au moins 80 millions de francs, à 4.000 francs le mètre courant, comme il ressort des prix de revient des tunnels du Gothard et de l’Arlberg. Malgré le peu d’altitude relative du tunnel du Simplon, les déclivités atteindront encore le 20 à 25 pour mille. Mais la question de la température souterraine est ici non moins importante et pleine encore d’incertitude. On sait que le thermomètre monte d’un degré par 30, 40 ou 50 mètres de profondeur sous le sol, suivant les cas, et ces expériences ont tout d’abord été faites dans les mines les plus profondes. Ici, nous prenons le tunnel si bas que nous avons un massif de 3.000 mètres sur la tête, et qu’on parle de températures qui atteindront peut-être 35 et 40 degrés. Nous savons ce que les ouvriers ont déjà souffert au Mont-Cenis et au Gothard. Au Simplon, le malaise sera encore plus grand, et c’est pourquoi M. Meyer, ingénieur en chef de la construction au chemin de fer de la Suisse occidentale et du Simplon, qui a fait le dernier projet de travaux, a imaginé un tunnel coudé, long de 20 kilomètres, pour diminuer les risques d’une trop grande élévation de température.
Une œuvre si formidable, avec tous les perfectionnements réalisés à l’Arlberg, demanderait sept ans, au plus. On creuserait du reste le tunnel au moyen de deux puits, qui contribueraient singulièrement à l’aérage ; et c’est ainsi que des travaux qu’on aurait jugés hier comme absolument irréalisables et beaucoup trop coûteux deviennent aisément exécutables aujourd’hui en peu de temps, avec économie. Le canal de Panama, pour lequel les ingénieurs demandaient en 1879 plus d’un milliard de francs et douze ans, se fera avec 600 millions et en six ans ; il sera fini en 1888. Et cependant, il faudra remuer 100 millions de mètres cubes de roches, sur une étendue de 74 kilomètres ; faire deux grands ports, dont l’un à Panama, à écluses, l’autre, à Colon, avec une jetée de 1.000 mètres ; creuser, sur une longueur prise aux deux tiers de l’isthme en venant de Colon, à travers la chaîne des Andes, une tranchée qui aura jusqu’à 110 mètres de hauteur et courra sur plusieurs kilomètres ; enfin, élever entre deux collines, au moyen de ces déblais, un énorme barrage d’un kilomètre de long, de 45 mètres de haut, de 850 mètres de large, pour endiguer, pour barrer le fleuve torrentiel du Chagrès, qui emmagasinera de la sorte un milliard de mètres cubes d’eau. Le Chagrès, ainsi dompté, s’en ira par un émissaire ou déversoir à la mer, parallèlement au canal, sans s’y mêler, sans le troubler. La puissance explosive de la dynamite, les excavateurs, les dragues gigantesques, surtout celles des Américains, qui remuent automatiquement 5.000 mètres cubes de roches par jour, justifient toutes ces audaces, et c’est à ce point de vue qu’un tunnel de 20 kilomètres, toutes choses du reste prévues et égales, ne doit pas non plus nous surprendre aujourd’hui.
La dernière station de laquelle partira le tunnel du Simplon est celle de Brigue, dans le canton du Valais, sur la ligne du Simplon, laquelle mesure 117 kilomètres de Bouveret à Brigue. De Brigue à l’entrée du tunnel, il y aurait 2.448 mètres de voie ferrée à construire. Vient ensuite le long tunnel tournant de 20 kilomètres de long, qui devra sortir à Iselle, et pour le creusement duquel on établira deux puits. D’Iselle à Domo d’Ossola on compte 20 kilomètres. De Domo d’Ossola à Milan, le chemin de fer n’existe qu’à partir d’Arona, à la pointe sud du lac Majeur ; mais le gouvernement italien se chargera de cette voie d’accès. La ligne du Simplon rejoindrait au sud le même aboutissant que le Gothard, et c’est là une objection qu’entre beaucoup d’autres lui font ses opposants.
Il est difficile d’avoir un devis exact des dépenses pour l’exécution de la ligne du Simplon. On en peut néanmoins estimer le coût total, avec tous les abords de la voie et y compris le tunnel, à 130 ou 140 millions. La difficulté est de trouver cette somme. Naguère, on comptait sur des subventions qui auraient été fournies par les états intéressés, comme au Gothard, La France aurait, par exemple, donné 50 millions, comme il a été dit, l’Italie 30, la Suisse 20, total 100 millions : le Gothard en a bien reçu 119. Mais la France ne profiterait de ce chemin, qui ne passe pas sur son territoire, que pour son transit du nord et du nord-est, sur une bande du pays enserrée entre Dunkerque et Le Havre, comprenant Paris et convergeant vers le Jura et Genève. Les voyageurs et les marchandises en transit suivraient cette voie pour aller en Italie, et, outre les deux ports déjà cités, Calais, Boulogne, Dieppe, Rouen, profiteraient aussi de la nouvelle voie. En revanche, nos ports du Midi, ceux de la Méditerranée, seraient sacrifiés, tels que Marseille et Sète. Le Mont-Cenis serait aussi tenu en échec. Ce serait contre eux tous une nouvelle concurrence ajoutée à celle du Gothard. Pour cette raison, la France n’est qu’à demi intéressée dans le projet du Simplon, quoi qu’en ait pu écrire et conseiller M. Marteau, comme conclusion à son second rapport sur le Saint-Gothard. D’ailleurs, notre situation financière est à cette heure trop engagée pour que nous songions à subventionner cette ligne. C’est à la compagnie du Simplon à s’entendre avec les compagnies françaises intéressées à cette œuvre, celles de l’Est d’abord, puis celle du Nord, et peut-être aussi celle de Paris-Lyon-Méditerranée ; mais il n’y a pas grand’ chose à attendre sous forme de subventions des états traversés. La Suisse et l’Italie nous paraissent être aussi obérées que la France ; l’Italie surtout, qui renonce à cette heure à la coûteuse expérience qu’elle avait faite de l’exploitation des chemins de fer par l’état, trop heureuse de s’en débarrasser désormais sur les compagnies. Il est juste toutefois de reconnaître qu’en Suisse, l’assemblée fédérale a voté récemment une subvention de 4 millions et demi pour un tunnel dans la partie occidentale des Alpes suisses, et qu’en avril 1883, le Conseil fédéral a fait des démarches auprès de la France et de l’Italie pour amener la réunion d’une conférence internationale qui résolût cette question ; mais c’est là tout et ce n’est pas assez.
Le Mont-Blanc. — C’est contre le projet du Simplon que le projet du Mont-Blanc a été présenté et défendu par M. Corbon, sénateur, et par M. Philippe, député de la Haute-Savoie. La première idée de percer le Mont-Blanc remonte à 1844, comme celle de percer le Mont-Cenis remontait déjà à 1841 ; mais le projet n’a pris corps qu’en 1873-1874, et c’est en 1875 qu’il a été présenté à Paris au congrès géographique international qui venait de se réunir. Le rapport législatif de 1873, fait par M. Cézanne, ingénieur des ponts et chaussées, qui rejetait le projet du Simplon ou du moins la subvention que la France lui aurait accordée, demandait qu’on s’assurât avant tout si, sur notre territoire, il ne se trouverait pas une voie meilleure, le Mont-Blanc, par exemple. Sur quoi une commission d’inspecteurs généraux des ponts et chaussées fat nommée, lesquels, après avoir comparé entre eux les divers projets pour un nouveau passage des Alpes, par le Mont-Saint-Bernard, le Simplon, le Mont-Blanc, donnèrent des conclusions favorables au Mont-Blanc. Ces conclusions furent soumises au Conseil supérieur des ponts et chaussées, qui, après un mûr examen, se prononça aussi pour le Mont-Blanc. « la suite de cet avis, les études préparatoires des projets furent confiées à M. Godin de Lépinay, ingénieur en chef des ponts et chaussées. Ces études, faites en 1875-76, démontrèrent la possibilité d’établir une voie ferrée à travers le Mont-Blanc. Les chambres durent s’occuper plus tard de cette affaire en même temps qu’elles revenaient sur celle du Simplon. En 1879, au sénat, M. le général Billot déposa, nous l’avons dit, un rapport favorable au Mont-Blanc, tandis qu’à la chambre des députés M. Wilson proclamait de nouveau les avantages du Simplon. L’idée des promoteurs de cette affaire, en l’opposant à celle du Simplon, a été surtout une idée patriotique, celle de construire un chemin de fer international en terre toute française, car le Mont-Blanc nous appartient entièrement depuis que la Savoie nous a été cédée par l’Italie. Le tunnel, ici, commencerait donc en terre française et non point helvétique ; il sortirait en terre également française, et non point italienne ; tout le chemin serait ainsi français. On comprend assez par là qu’au point de vue non-seulement économique, mais encore stratégique, le chemin du Mont-Blanc soit d’une grande importance.
Le tunnel du Mont-Blanc serait creusé à l’altitude de 1.140 mètres d’un côté et 1.050 de l’autre ; il aurait 19.220 mètres de long, et, sur un autre point, 18.9Û0 mètres, dont 13.640 mètres pour le tunnel proprement dit et 5.300 pour ce que l’ingénieur qui a projeté ce tunnel appelle les galeries sous vallées. On estime que le creusement durerait six ou sept ans ; mais nous sommes ici sous le point culminant des Alpes, nous avons un faîte de plus de 3.000 mètres sur nos têtes, et les physiciens estiment que la température qu’on pourrait rencontrer dans le fonçage du tunnel dépasserait les 40 degrés centigrades et atteindrait peut-être les 50. A ce compte, toutes les ventilations possibles d’air frais, qui sont si faciles à obtenir au moyen des machines perforatrices à air comprimé qu’on emploie dans le creusement des tunnels, ne donneraient qu’un abaissement entre un demi et un degré, comparé à la température propre de la roche à ces énormes profondeurs, et ce ne serait pas suffisant. Dans ce cas, le tunnel ne serait pas exécutable et c’est là l’objection la plus sérieuse qu’on puisse faire au projet du Mont-Blanc, avec cette autre : qu’il ne ferait en réalité que doubler le Mont-Cenis.
La voie du Mont-Blanc conduirait de Chamonix à Aoste et d’Aoste à Ivrée, où l’on trouve les chemins de fer qui mènent à Turin, à Milan, à Plaisance, sur la section italienne ; du souterrain à Aoste il y aurait 80 kilomètres à faire, et d’Aoste à Ivrée, on compte 67 kilomètres : c’est en tout 97 kilomètres à construire. Du côté français, ce serait une dépense de 64 millions rien qu’en souterrains et galeries, sans compter la ligne d’Albertville à Chamonix, classée par la loi du 17 juillet 1879, mais qui est loin d’être commencée. L’ingénieur du Mont-Blanc, qui n’a fait que des études sommaires, que plus tard l’ingénieur en chef de la Haute-Savoie a, il est vrai, approuvées, estime la dépense totale à 80 millions, dont 12 pour les 30 kilomètres de la sortie du tunnel à Aoste, qu’il estime à 400.000 francs le kilomètre, et 4 millions pour une section de 26 kilomètres d’Ivrée à Santhià, qu’il estime à 150.000 francs le kilomètre ; mais il passe sous silence la ligne d’Aoste à Ivrée sur la section italienne, comme celle d’Albertville à Chamonix sur la section française, de sorte que le chiffre de dépenses qu’il présente est certainement plus qu’insuffisant. Des opposants, des contradicteurs, les promoteurs du Simplon le portent à 180 millions pour toute la ligne à exécuter, et c’est à peine assez. Il est certain que, tant du côté français que du côté italien, une certaine partie des travaux incombera naturellement aux gouvernements ou aux compagnies intéressées et que tout ce qui restera à faire, ce sera la traversée du Mont-Blanc de Chamonix à Aoste ; mais là le projet est encore moins étudié et encore plus dans les nuages que celui du Simplon, et ne sera probablement jamais entrepris.
Le Grand Saint-Bernard. — L’idée du percement de ce col particulier des Alpes a germé, on peut le dire, dans la tête d’un seul homme, M. le baron de Vautheleret, qui l’a faite sienne, qui la défend activement, ardemment, par les livres, les brochures, le journal, les cartes, les plans, même en relief, enfin par les conférences publiques, notamment devant la Société des ingénieurs civils ou la Société de topographie. Il a même créé pour cela un journal spécial : l’Organe des mines, canaux et chemins de fer. Il propage son affaire non-seulement à Paris, où il a établi des bureaux et fondé une compagnie d’études, une sorte de société civile, avec quelques associés qu’il a intéressés à ses projets et qui lui ont fourni les premiers capitaux nécessaires ; mais encore en divers endroits, dans quelques grandes villes, comme à Boulogne, à Besançon, à Turin. Il fait partout des conférences, il entretient publiquement les autorités, les sociétés savantes, et l’on parle par instants de lui avec de grands éloges dans les gazettes des localités où il passe. N’annonce-t-il pas avec un patriotisme ardent qu’il faut lutter contre le Saint-Gothard ?
Son projet consiste à réunir les réseaux français, suisse et italien par un tunnel passant, non pas précisément sous le col du Grand-Saint-Bernard, mais sous le col Ferret, qui en est voisin. Nous ne croyons pas qu’il ait dépensé beaucoup d’argent ni de temps pour établir ses devis et ses avant-projets, qui ont quelquefois varié, comme ceux du Simplon. Les mauvaises langues prétendent qu’il est monté une seule fois en voiture au col Ferret avec un baromètre anéroïde dans sa poche, et qu’avec cela, une bonne carte a suffi, telle que celle du général Dufour, de l’état-major suisse, qui est une carte célèbre que tous les géographes consultent. Dans tous les cas, les frères hospitaliers du Grand-Saint-Bernard disent qu’ils ne l’ont jamais vu et qu’il a dressé tous ses plans dans son cabinet.
Le tunnel projeté par M. de Vautheleret aurait 9.485 mètres de long et serait à l’altitude de 1.622 mètres d’une part, 1.620 de l’autre. Ce serait le plus haut de tous les tunnels alpins, alors que celui du Simplon serait le plus bas ; mais à cela on peut répondre avec raison que, sur le grand chemin de fer du Pacifique, le premier qui ait été construit aux États-Unis entre les deux océans, la branche de l’Union Pacific, qui va d’Omaha, sur le Missouri, à la ville des Mormons, traverse les Montagnes-Rocheuses à 2.313 mètres ; et que celle du Central Pacific, qui va du grand Lac-Salé des Mormons à Sacramento, capitale de la Californie, franchit la Sierra Nevada à 2.140 mètres. Sur le Northern Pacific, qui est au nord de la ligne précédente, au voisinage de la frontière des États-Unis avec le Canada, la ligne de faîte est atteinte par le rail à 1.652 mètres. De La Vera-Cruz à Mexico, le chemin de fer s’élève à une hauteur de 2.100 mètres, et la ligne ando-péruvienne, qui va de Lima à Oroya, à 4.768 mètres. C’est à cette altitude que s’ouvre le tunnel de Meigg, ainsi appelé du nom du hardi entrepreneur de la voie. Enfin, le chemin de fer de l’Himalaya, dans l’Inde, qui a 80 kilomètres de long, avec un écartement de rails minime, de 610 mm seulement, s’élève à 2.250 mètres, avec des pentes de 45 à 50 pour mille et des courbes de 21 mètres de rayon, gravies par ce que l’on a surnommé le train-jouet (the Toy Train) ! De même, de Calcutta à Darjeeling, également dans l’Himalaya, le chemin de fer, qui a 580 kilomètres de long, monte jusqu’à 2.345 mètres d’altitude. Ce n’est donc pas à cause de l’altitude que le tunnel du Grand-Saint-Bernard sera inexécutable, pas plus qu’en raison des déclivités, qui ne dépassent pas les 15 ou 20 pour mille, ou enfin par l’élévation de la température dans le souterrain en creusement, laquelle n’ira pas au-delà de 20 à 22 degrés, mais c’est pour d’autres causes que ce tunnel, comme tant d’autres qui sont également en projet, ne se fera pas.
M. de Vautheleret a commencé à étudier son projet de tunnel du Grand-Saint-Bernard dès 1874. D’autres personnes l’avaient aussi examiné avant lui ; mais il est bientôt resté seul sur la brèche. Il a donné à la ligne qu’il propose le nom de Ligne ferrée directe de Londres à Brindisi, comme si tout le transit de l’Inde et de l’extrême Orient allait se faire par-là, et il joint même à son premier projet celui du tunnel au col de Tende ou de ta ligne de Nice et Vintimille à Cuneo, qu’il appelle la jonction avec la Méditerranée. Il a pour lui les Piémontais, naturellement. Ayant la parole chaude, expressive et facile, dans toutes les sociétés savantes ou autres devant lesquelles il a parlé, il a souvent provoqué les applaudissements ; mais c’est un pur théoricien. Le dernier projet dont il vient de faire part au public va de Martigny, dans le canton du Valais, à Aoste, en Piémont, sur une longueur de 139 kilomètres, y compris le tunnel de 9.485 mètres, qu’il creusera, dit-il, au moyen de quatre puits. Son devis estimatif comporte, sur ces données, une dépense totale de 86 millions de francs seulement, moyennant quoi il prétend gagner, de Calais ou de Paris à Plaisance, sur le Mont-Cenis, 118 kilomètres, sur le Saint-Gothard 96, et sur le Mont-Blanc 92. En un mot, ce serait, d’après lui, la route la plus courte, la plus économique, la plus sûre, la meilleure.
Ce projet et celui du Mont-Blanc peuvent marcher de compagnie ; car on n’ouvrira certainement ni l’une ni l’autre de ces voies, où les lignes d’accès ne sont pas encore faites ni à faire. Le Grand-Saint-Bernard serait, du reste, comme le Mont-Blanc, une superfétation de la ligne du Mont-Cenis, et tous les deux tomberaient en Piémont, comme le Mont-Cenis, mais plus mal, n’aboutissant à aucun chemin de fer déjà exécuté. M. de Vautheleret, d’autre part, a tort d’appeler son projet une ligne exclusivement française ; c’est le Mont-Blanc seul qui mérite ce titre. La ligne du Grand-Saint-Bernard commencerait en Suisse, à Martigny, et finirait à Aoste, en Piémont. A ce compte, et pour nous, elle n’est pas plus favorable que celle du Simplon.
Le Petit-Saint-Bernard. — Tous les cols ont leur place dans ces projets, même le Petit-Saint-Bernard, auquel d’aucuns ont pensé, ne fût-ce que pour le mettre en parallèle et en concurrence avec le Grand-Saint-Bernard ; mais il est encore plus rapproché du Mont-Cenis que l’autre. Divers projets consisteraient à faire un tunnel à 923 mètres d’altitude ou un autre à 1.200 mètres ; le premier aurait 20 kilomètres de long, le second 12 ou 13. D’autres prétendent aussi passer sans tunnel par la vallée de l’Isère et se rendre à ciel ouvert, en tramway, d’Albertville, en Savoie, au val d’Aoste, en Piémont. Certes, ce serait là une autre voie essentiellement française, comme celle du Mont-Blanc, et l’on dit que les députés de la Savoie y sont favorables. Il n’en est pas moins probable que l’on ne fera rien non plus de ce côté, car les Alpes sont déjà suffisamment percées, à l’ouest par le Mont-Cenis, au nord par le Gothard, à l’est deux fois, par le Brenner et par l’Arlberg.
La nécessité d’un moment d’arrêt, de suspension se fait d’ailleurs sentir dans les dépenses qu’exigent en France les travaux publics, et qui sont souvent exagérées, même quelquefois inutiles. Si l’on veut lutter contre la concurrence du Saint-Gothard, nous en avons indiqué la meilleure manière, qui consiste principalement à chercher tous les moyens d’arriver à la modicité du prix des transports, surtout par l’abaissement des tarifs et l’établissement de tarifs communs, internationaux ou de transit, réduits au minimum. Nous en avons donné quelques exemples ; on pourrait les multiplier. Enfin, il faut achever tous nos canaux, améliorer nos ports, nos rivières, compléter nos voies ferrées, non par ces grands tunnels gigantesques, de longueur interminable, hérissés de difficultés, qui enterrent des centaines de millions que les états aujourd’hui ne peuvent ou ne veulent plus donner, mais par des embranchements, des raccordements de moyenne longueur en plaine ou de faible pente, et qui vont partout chercher le fret sans grandes dépenses et sans grande peine. Il faut aussi développer notre industrie en multipliant les écoles d’arts et métiers, en fortifiant l’enseignement technique, en introduisant les procédés les plus perfectionnés dans nos usines, nos fabriques, nos manufactures, ce qui est un moyen d’abaisser les prix de revient sans toucher aux salaires. A l’étranger, il nous faut établir partout, ou au moins dans les plus grands centres, où nous avons des résidents stables assez nombreux, des chambres de commerce, et mieux organiser nos consulats, nos écoles de commerce, nos sociétés de géographie, d’une manière plus libérale, plus pratique et plus progressive.
Tout cela se relie à la question des échanges et à celle des transports, en un mot, à celle du travail industriel national, que nous résoudrons par tous ces moyens, et non en cherchant encore à percer de grands tunnels dans les Alpes, quand il y en a déjà quatre d’ouverts, dont un n’a été fait que pour arriver en quelque sorte à diminuer ou troubler à tout le moins notre commerce extérieur.
LOUIS SIMONIN
E dopo tutti questi ragionamenti molto particolareggiati di un francese scettico, fermi al 1884, il progetto del Sempione andrà avanti comunque e, in agosto del 1898, gli scavi inizieranno da nord e da sud. Gottardo e Sempione si riveleranno per essere perfettamente complementari. Saranno abbandonati, invece, gli altri progetti.
Oggi si disputa di un altro traforo da 50 km sulla linea Torino-Lione: un inutile obbrobrio ecologico dai prevedibili costi allucinanti; progetto insistito da lobby industriali interessantissime, allorché un preciso studio di fattibilità boccia senza remissione la sua eventuale realizzazione. Non c’è peggior sordo di chi non vuol sentire. La partita rimane aperta. L’Italia si sta comportando ancora una volta come vassalla di interessi privati a danno dei suoi cittadini (narcotizzati…). La Francia non si sbilancia oltremodo, lasciando che gli italiani vadano pure avanti mettendoci, loro, i soldi. La feroce polemica è di attualità. Per quanto mi concerne, io sono ferocemente contrario, basando la mia opinione su dati scientifici inoppugnabili, consultabili in rete e certificati dalla commissione indipendente che ha condotto lo studio.
Quanto all’epopea del cantiere Sempione e ad altre notizie, vale la pena consultare Wikipedia, sia in francese che in italiano. I due siti sono complementari e l’uno riporta notizie assenti nell’altro: da guardare, entrambi !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Tunnel_du_Simplon https://it.wikipedia.org/wiki/Traforo_del_Sempione
Cesare Spoletini